Angel de Munter m’a dit :
« Mon père était imprimeur et dès mon enfance j’ai baigné dans le monde de l’impression et du livre. Ma passion pour la photographie date de mes 13 ans quand, dans le grenier de ma grand-mère j’ai découvert dans des cartons d’anciennes plaques photographiques : j’ai été fasciné. J’ai aussitôt acheté un appareil et je me suis mis à faire des photos dans la campagne aux alentours de Nevers. L’été de mes 17 ans j’ai travaillé aux Chantiers de l’Atlantique et c’est ainsi que j’ai pu, grâce à ma paye, m’offrir un appareil.
Plus tard, lors des mes études à l’école Estienne, une école qui a vu sur ses bancs de nombreux peintres et photographes – Doisneau, Boubat, Fontanarossa – j’ai perfectionné ma technique. Au cours de mes stages à Bayard Presse, et Beaubourg, j’ai appris sur la fabrication du livre et des magazines. J’ai voulu aussi améliorer ma technique de photographe. Dans ce but je me suis acheté une Contax RTS le « top pour l’époque » des appareils argentiques 24 x 36.
Muni de cet excellent matériel – indispensable pour aboutir à un résultat parfait – j’ai commencé à faire des photos de manière plus régulière bien que cela soit resté pour longtemps une activité de vacances. Des photos de concerts, des portraits de musiciens et de chanteurs et aussi des paysages de mon lieu de prédilection : La Loire. Mais c’est seulement quand, à bout de forces, j’ai quitté mon poste de directeur technique chez Altedia, que j’ai décidé de faire mon vrai métier de ce qui fut jusqu’alors ma plus grande passion : la photographie.
L’essentiel de mon activité consiste à faire des reportages thématiques – un livre sur la culture du tabac et de la confection des cigares au Honduras par exemple. Je suis intéressé aussi par le portrait, les vues de Paris et depuis trois ans par les fleurs colorisées.
En général j’aime le noir-et-blanc. C’est plus élégant que la couleur qui perturbe le regard et sème la confusion. Le noir-et-blanc permet une plus grande concentration, le sujet ressort mieux n’étant pas noyé dans la masse polychrome. De même pour les portraits : je les aime aussi en noir-et-blanc et sans retouche, ce qui me permet de travailler la lumière de manière plus approfondie. C’est un travail de studio. J’aime pourtant aussi photographier en plein air, des gens dans le métro, dans les rues et les jardins. Un photographe guette le moment propice où le sujet fait son apparition. Comme je suis toujours à l’affût d’une belle image que le hasard me donnera, je ne quitte jamais mon appareil. Même pour un paysage qui semble être toujours là mais qui ne cesse pas de se recomposer.
Un photographe organise ses éléments de la même manière qu’un peintre réalise son tableau. C’est son œil qui travaille à ce but. Il est indispensable que la technique ne le trahisse pas et que sa photo rende bien ce qui lui a été révélé. La photo raconte toujours une histoire. C’est l’instinct du photographe qui la saisit et qui lui donne corps.
Mais avec les fleurs c’est une autre aventure.
J’ai toujours aimé les fleurs, ma mère franco-italienne mélangeait dans son jardin les fleurs et les légumes pour obtenir un effet esthétique. J’ai donc cultivé très tôt une familiarité avec le monde floral. Pour la photo tout a commencé une nuit d’insomnie, une nuit porteuse d’idées où sous une impulsion soudaine j’ai pris un bouquet et, après l’avoir agencé et éclairé d’un flash, j’ai réalisé ma première photo de ce sujet en noir-et-blanc. Pendant neuf mois je me suis amusé à capter toutes les nuances du gris sans me rassasier de ces bouquets. Souvent je les tirais sur du papier chiffon ce qui les faisait ressembler à des dessins.
L’idée de les coloriser me vint plus tard : le moment le plus propice est la nuit quand tout est calme et que je peux tranquillement entrer dans mon propre univers. Depuis c’est devenu presque un rituel : ça m’arrive autours de 21h 30- minuit. Après avoir acheté mes fleurs chez le fleuriste je compose mon bouquet et après l’avoir observé de tous les côtés je choisis l’angle qui me paraît le plus favorable. Ensuite je le photographie en noir et blanc ou en couleur, peu importe, puis je le colorise. Tout se fait très vite, instinctivement, suivant l’inspiration du moment : je passe du réalisme à la magnificence.
Les hollandais avec qui j’ai quelques affinités je les ai regardés bien après avoir défini ma technique. Je procède plutôt comme ceux qui, autrefois, colorisaient les photos ou les films avant l’invention de la couleur. C’est un retour aux sources. Ma composition évitant une symétrie triste et fabriqué accède à une asymétrie vivante qui met en exergue une beauté nouvelle, luxuriante et baroque.
Mon but : accéder à une autre beauté que celle du réel. La réalité des fleurs est mélancolique puisqu’elles ont une vie brève qui nous rappelle qu’on est de passage. Ma photo, au contraire, les captant et les fixant au moment le plus glorieux de leur existence c’est une garantie d’immortalité ».
Eurydice Trichon Milsani
(Dr. en histoire de l’art et écrivain)