Ce qui frappe lorsqu’on observe Angel de Munter travailler, c’est sa spontanéité – bien sûr contrebalancée par une très grande expérience de la photographie : il fait de la photo depuis longtemps, fasciné tout petit par les photos de famille sur plaque de verres retrouvées dans le grenier de sa grand-mère. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est le cadrage, la composition, mêlés à l’instantanéité et la rapidité de la prise. Il en va tout autrement dans son dernier travail : il y a d’abord la construction du modèle : ces fleurs qu’il va choisir chez son fleuriste, pour les installer chez lui. Les pivoines, les oeillets, les mimosas qui dessineront comme un paysage. Il tourne autour, les prend sous différents angles, comme on tournerait autour d’une sculpture.
Contrairement à la ville qui grouille de gens et d’activité, ces fleurs sont statiques. Le seul mouvement observable, c’est celui de la putréfaction lente. Sa première série de photos de fleurs de saison qui date de 2010, a été prise sur quelques jours : un même bouquet se décomposait lentement sous l’objectif du photographe. Les fleurs en noir et blanc se flétrissaient lentement mais inexorablement – impossible de ne pas y voir une métaphore – et semblaient se transformer en animaux, en êtres humains. Cela se passait comme si on constatait son propre vieillissement à l’oeil nu.
Progressivement, les fleurs se sont teintées.
Angel de Munter procède à une décomposition des gestes du photographe. Il brouille les pistes. Il prend des photos en couleurs, les repasse en noir et blanc puis les recolorise ; il laisse ainsi le spectateur s’interroger et douter de ce qu’il voit.
Ce processus complique et enrichit l’image de nouvelles références et significations.
Dans ce travail, il y a une volonté de retrouver la « bella maniera », le beau style. Ces fleurs deviennent presque trop parfaites, trop belles, artificielles. Les couleurs irréalistes et fantastiques (des oeillets bleus fluorescents par exemple) leur confèrent une dimension décorative, baroque. Comme il aime le dire lui-même il retravaille, « réinvente la couleur, enrichit et magnifie la réalité ». Il choisit systématiquement le fond noir, souvenir de l’ébène qui encadre la plupart des tableaux de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Une référence à cette peinture délicate qui parle de la vie quotidienne, de sa vanité. Un autre memento mori.
Albertine Trichon